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Le Moulin à vent

date. 2035

ville. Madrid

taille. 100 cm x 50 cm

Les Moulins à vent peinture huile original à vendre

Au centre de la métropole, il n’y a rien. Rien d’autre que la foule automate, la pluie, l’odeur de merde et moi. Le rugissement des rames de métro résonne en écho des hurlements des machines. Quand je fais le calcul, je me rends compte que je passe quinze heures par jour en moyenne en présence de ce bruit assourdissant. J’entends tellement le vacarme quotidien que je l’en oublie. J’oublie la pluie, le froid, la sensation de frottement de mes vêtements quand je marche, j’oublie mes douleurs constantes à mes mains, à mes reins, à mon foie. Bruits de ville, vacarmes d’usine, brouhahas de bar, évanouissement, éveil, rebelote. Ma vie est un automatisme sans but. Mon corps une machine qu’on exploite et qui s’use. Je me sens parfois comme un petit outil sans foi, qui avance à l’aveuglette, incapable de prendre de décision sans avoir été aiguillé plus ou moins directement vers elle. Mon chef m’a félicité ce soir, sans doute pour me laisser germer l’idée utopique d’une quelconque indispensabilité qui ne peut que nous servir à tous deux. Pas assez, hélas, pour me faire oublier que si ce bus, qui me frôle à l’instant, devait déraper pour me briser, un autre petit outil comme moi viendrait me remplacer dans la machine en moins d’une semaine. 

L’acétone me tambourine les oreilles. C’en est presque agréable. Le vrombissement des moteurs et des conversations s’étouffe un peu. J’entendrais presque la pluie. Presque. Je l’imagine, du moins. 

Errance. Automatismes. Je ne porte plus attention à mes congénères avec qui je partage le bitume détrempé. Nous sommes des silhouettes fantomatiques glissant aléatoirement dans les rues, les yeux rivés sur des photos de vacances ensoleillées de nos portables. Nos seuls exutoires, finalement. 

Le mien me suggère une photo. Une ancienne, très ancienne. Un petit garçon au pas décidé, à l’oeil curieux, vif. On y ressent un appétit de vie, une appétence à la découverte, à l’exploration, une velléité de voler au gré de son moulin à vent. 

Alors je ne sens plus mes pas. Je m’immerge dans un souvenir oublié depuis longtemps, dans des joies simples et enfantines. Pendant un instant, les yeux fermés sous la pluie, je laisse un peu de cette couleur innocente re-pénétrer dans mon existence. Comme il est loin de moi, ce petit garçon. Trente-cinq ans se sont écoulés depuis ces vacances. Mais il n’en a pas fallu trente-cinq pour transformer un moulin à vent en automate. Le silence, en moi, se fait. Je rouvre les yeux. Autour de moi, les fantômes imperturbables continuent la valse lente et infernale de leur inexistence. Je crois qu’une petite braise enfantine se rallume au fond de ma rétine, tandis que mes douleurs reviennent à ma conscience. Mes articulations sont rouées, mes muscles sont brûlés, ma colonne vertébrale fissurée. Je sens mes cernes gonflées tirer sur mes pommettes, l’odeur de cigarette qui agresse ma narine. je sens mes mains enflées et gercées, ma respiration fatiguée, ma démarche prostrée.

À quel moment perdons-nous ce que nous sommes fondamentalement ? À quel moment rejetons-nous les promesses de simplicité faites lorsque nous étions marmots ? À quel moment me suis-je trahi à ce point ? 

Stop. Refus. Refus borné d’un petit garçon bafoué. Au fond de moi, l’androïde de la vie normale prend sa retraite. Il a envie, envie de jouer. 

Au centre de la métropole, il n’y a rien. Rien d’autre que la foule automate, la pluie, l’odeur de merde et un petit garçon qui court après un moulin à vent. 

© PARO

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